Une information municipale

Le magazine de l'information municipale “Les Rennais” dans sa 19 eme édition de septembre-octobre 2014 nous présente les personnes qui touchent le RSA en utilisant des termes comme "processus de désinsertion", "coups de blues ”, "mort sociale", sous un angle en somme très triste, misérabiliste. Surtout il nous les présente comme ayant avant tout l'envie de trouver du travail. Le modèle du travail salarié est t-il donc le seul bénéfique pour tous et toutes ? A voir les publicités qui jalonnent les colonnes de “Les Rennais” - pour des agences immobilières, des forfaits Internet, un centre commercial - on peut penser que ce sont surtout leurs annonceurs qui ont intérêts à faire croire à cette idée. Comment les marchands arriveraient- t- ils à vendre leurs maisons, leurs Iphone, leurs clubs de vacances, s'ils ne faisaient pas entendre l'idée que le bonheur réside dans la consommation ? Comment arriveraient- t -ils à construire leurs maisons, leurs Iphones s'ils ne faisaient pas entendre la seule idée que la normalité c'est de travailler pour eux ?

Je descend les escaliers vers le métro et tombe sur le journal «   Les Rennais   » posé sur deux piles de 20 ou 30 exemplaires sur un présentoir en fer. «   Les Rennais   », "journal de l'information municipale" présente une sélection des projets culturels de la mairie et de ses habitants, des associations, de différentes structures et entreprises rennaises. Il assure la communication de la mairie de Rennes. Je lis en couverture : «    Invitation à «   Je touche le RSA   »    Ils témoignent pour tordre le coup au cliché   ». J'ouvre ensuite le journal pour lire les gros titres, les témoignages : «   Francette: d’Intérim en CDD   », «   Alain: ne pas se laisser anéantir   » (p.15), «   Pascale et Jack: Tout à reconstruire   » (p.16). Voilà déjà que par un retournement surprenant une multitude d'idées reçues m'éclate à la figure. Ces idées reçus, ces clichés, c'est que le chômeur est triste d'être au chômage, il est malheureux, il se sent exclu. Une lecture plus approfondit m'apprend que les témoignages sont ceux de membres du «   Comité de suivi RSA   », je lis que ce comité "a été mis en place par la direction Insertion et aides à la population (DIAP) et le centre communal d'action sociale (CCAS).” L'équipe du comité “est composée de professionnels et d'allocataires du RSA volontaires et tirés au sort." Je lis encore, avant les témoignages, un résumé : «   une chose est claire pour tout le monde, quelques soit les situations diverses, on ne vit pas avec le RSA, on survit. Ce n'est qu'un tremplin pour «   s'en sortir   ». Pour «   vivre comme tout le monde, normalement   »   » (p.14). Mais que signifie vivre «   normalement   » ? Est ce nécessairement de trouver un travail salarié ?   

Pour évoquer la situation de chômage on parle ici de «   processus de désinsertion   », de «   coups de blues   » (p.15), de «   mort sociale   »(p.16).

La situation du chômeur peu indemnisé ou du «   Rsaste   » n'est, c'est vrai, pas enviable. Il est clair que vivre avec 400 euros ou 700 euros     par mois peut être difficile. C'est facile de s'en rendre compte. C'est vrai aussi qu'il existe un triste discours franchement opposé aux bénéficiaires du RSA ou aux chômeurs. On a pu ainsi lire à la Une du Figaro Magazine le 4 juin 2011, «   La France des assistés , Ces «   allocs   » qui découragent le travail , Le RSA sur la sellette   »; A la une du Point le 31 mai 2012 «   La France des tire-au-flanc , Les rois de l'absentéisme, Le piège des 35h   »; A la Une de Valeurs Actuelles au 1er mai 2014, «   Ces assistés qui ruinent la France, Profiteurs du système : Les vérités interdites, La pompe aspirante de l'immigration, La gauche complice   », etc. Un rapport du ministère de la Culture et de la Communication publié en janvier 2014 révélait que ces trois journaux avaient touché en 2012 au titre d'aides de l’État à la presse respectivement 18,2 millions d'euros, 4,8 millions d'euros et 950000 euros. C'est à ces journaux au fond que le terme d'assistés    va tout a fait bien.

S'il faut reconnaître que «   Les Rennais   » et les personnes qui témoignent se situent dans cette dialectique sur la rive opposée aux Unes que je viens de citer, en disant notamment que le RSA est un droit et non pas un privilège, ce qui est dommageable en revanche c'est que le magazine, par l'intermédiaire des «   témoignages   », de la façon dont il les a recueillit, ne donne pas d'autres solutions pour résoudre les problèmes des Rsastes que de trouver du travail salarié.
Le «   témoignage   » – «   portrait   », qui me semble le plus exemplaire est celui d'une prénommée   Francette qui explique être passé du travail social, dans les structures fréquentées par les Rsastes comme le CCAS ou la CAF (Caisse d'Allocations Familiales) à la situation de chômeur, d'allocataire du RSA.
Je lis     : «     En septembre 2012, ultra-motivée, elle intègre une préparation pour être assistante de service social     ; 6 mois «     très enrichissant qui m'ont reboostée     ». En parallèle, elle découvre le bénévolat au Secours Populaire. «     Cela fait du bien de donner de son temps, de se sentir utile.     » Elle intègre (...) le comité de suivi RSA et le groupe de solidarité emploi, «    intéressant pour agir et savoir ce qui se passe sur le terrain en matière d'insertion socioprofessionnelle.    » Aujourd'hui, Francette a 32 ans et travaille de nouveau à Pole emploi. «     A force d'être toujours dans les parages, disponible et motivée, ils ne m'ont pas oubliée     ! Aider, conseiller, dans le domaine de l'insertion professionnelle     : Je sais désormais ce que je veux faire. Aujourd'hui je vis au lieu de survivre et j'ai réintégré un rythme social normal.     »    » (p.15)

Tiré du vocabulaire du sport et de la médecine, ce témoignage donne finalement le sentiment d'une société obsédée par la consommation, par le travail, la rentabilité, où celui qui ne participe pas à ce mouvement là est nécessairement une personne qu'il faut «   inclure   ». Les travailleurs du CCAS ou de la CAF font ici figure de coach ou de médecins pour permettre aux «   exclus   » de s'inscrire dans le mouvement.
Regardant un peu moins le problème du côté des «   malades   » et des médecins salariés, un peu plus du côté de ceux qui ont le pouvoir, on pourrait se demander si une politique qui se donnerait les moyens d'être de gauche n'augmenterait pas le RSA, pour ne pas laisser des personnes «   survivre   », pour leur permettre de vivre «   normalement   ». Permettre une amélioration du niveau de vie des plus précaires,  c’était dans les déclarations – dîtes avec quel cynisme   !- une priorité du candidat François Hollande en 2012 quand il proclamait «   Mon ennemi c'est la finance   ». C'est maintenant de l'autre côté, du côté des plus précaires, que son ministre du Travail François Rebsamen trouve ses ennemis quand il déclare : «   C'est négatif pour ceux qui recherchent des emplois d'être à côté de personnes qui ne cherchent pas d'emplois, donc je demande à Pôle emploi de renforcer les contrôles. (...) Il n'est pas possible, dans un pays qui est en difficulté, qui veut se redresser, qui porte le travail, d'avoir des gens qui ne cherchent pas d'emploi.   » ( «   Le Monde   » du 2 septembre 2014.)

C'est quoi alors, vivre «   normalement   » pour «   Les Rennais   » ? Je trouverai une réponse à ces questions au regard des multiples publicités qui jalonnent le journal.

Je lis toujours : "Rennes Central Square : Habiter Rennes Centre. Appartements et maisons-appartements" (P.2), "Les résidences services séniors pour vivre et investir en toute sérénité", "Esprit Maison - Esprit Jardin - Le salon fête ses dix ans" (P.4), “Coop Habitat Bretagne -Bien vivre, Bien investir”, “Domaine des Ormes, La nature vous y invite, Vacances et we, Hébergements insolites, piscine, centre équestre, golf”, 'investir dans un logement neuf, le plus beau choix de votre vie...ou presque!” (p.9), “Bureau de change, Pour tout vos voyages, nous avons à disponibilité immédiate: Dollar Américain, Canadien, Australien, Livre Anglaise, Franc Suisse, Yen Japonais... Ventes et achat Or et pièces cotées. Succession, Héritage”, “Les maisons de la Pilate, 7 maisons contemporaines à partir de 276 000 euros” (p.11), etc.

De nombreuses personnes qui ont fait ou qui font l’expérience du travail salarié contrediraient l'idée qu'il est gage de bonheur. De nombreuses personnes qui ont fait ou font l’expérience de la vie avec pour seul source de revenu un RSA contrediraient également l'idée qu'il est gage de bonheur. Mais en n'évoquant pas d'autres possibilités pour les uns et les autres que celles d'acheter, d'investir, de gagner des sous, de compter les sous, de vérifier si le voisin est bien lui aussi dans cette démarche positive d'    «    intégration    », d'acheter toujours, d'investir, «    Les Rennais    » font avant tout un travail idéologique à la faveur des marchands. Qu'on le nomme triste et misérable ou assisté et feignant, l'important est que le Rsaste, comme le travailleur salarié, satisfasse, pour finir, les marchands. C'est le discours sous-jacent que nous donne à lire “Les Rennais”.

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